C'est un symbole : le bon vieux carillon d'Europe 1 ne sonne plus de la
même manière. Rajeuni - tout comme les jingles et les bandes-annonces
de la chaîne -, il égrène ses trois notes sur une sonorité
moins métallique, un peu plus allègre ... La station de la rue François 1er
opère un changement radical et effectue un grand nettoyage de rentrée.
Depuis le 2 septembre, date de lancement de la nouvelle grille provisoire, l'antenne
est méconnaissable. Les signatures, les voix, les magazines auxquels on s'était
habitué ont soit disparu, soit changé de case. La plupart des animateurs des jeux
ou des divertissement n'ont [n'a] plus trouvé leur [sa] place dans les nouveaux programmes
dédiés désormais à l'information. L'été a
été l'occasion de remerciements en série. Exit Gérard Holtz,
Jean Roucas, Pascal Brunner, François Jouffa et Arthur. Adieu donc Marc Toesca et
son « Top », Philip de la Croix et son rendez-vous avec la musique
classique. Même Maryse, grande figure de la station depuis une trentaine d'années,
ou encore Albert Ducrocq, le spécialiste des étoiles qui faisait office de doyen souriant
et indispensable, ont disparu de l'antenne ... Au menu, désormais, des
talk-shows en série et des forums d'auditeurs composent ce que la nouvelle
équipe dirigeante nomme une radio « News et Talk ». De la
parole, beaucoup de parole et très peu de musique.
Dès 6 heures et jusqu'à 9 heures, une matinée d'un nouveau genre,
100 % information, ouvre l'antenne, avec une succession de journaux courts et de
reportages plus développés. Prime à l'actualité, au reportage
de terrain : les informations s'enchaînent sur un rythme qui n'est pas sans
rappeler ... France Info. À 9 heures,
changement d'ambiance avec le premier talk-show de la matiné, animé par
Yves Calvi, transfuge de LCI, qui aborde avec beaucoup de rigueur, pendant une heure trente,
en compagnie de quelques invités et avec la participation des auditeurs, des thèmes
aussi variés que la conquête de l'espace, la pédophilie, ou encore, la
saga des grands magasins.
Tout au long de la journée, alternent ainsi tranches d'information et forums
ouverts aux auditeurs, animéspar des personnalités aussi différentes
qu'Isabelle Giordano (venue de Canal +), Frédéric
Mitterrand, Michel Field ou Laurence Boccolini. Le ton des matinées semblent
déjà trouvé, tandis que les nouveaux après-midis paraissent,
pour l'heure, bien bavards et pas franchement dynamiques. " Il nous reste encore pas
mal de boulot. Les choses ne sont pas encores définitivement arrêtées
et certains recadrages seront nécessaires ", explique Jérôme Bellay,
bombardé directeur général de l'antenne depuis le 15 juillet.
La nouvelle grille est avant tout l'oeuvre de cet homme que Jacques Lehn, PDG d'Europe 1, a
lui-même choisi pour redresser une station en crise d'identité. De mauvais
sondages en mauvais sondages, Europe 1 semblait, le 15 juillet, avoir touché
le fond : 8.5 % d'audience pour la période
d'avril à juin 1996, selon Médiamétrie. Un véritable
électrochoc pour une équipe déjà fortement déprimé
par le départ de Denis Jeambar en mars dernier et par un climat de flottement qui
s'est poursuivit jusqu'à l'été !
Il fallait faire vite. Le dos au mur, la station a choisi de provoquer une minirévolution
en faisant appel à Jérôme Bellay. Ses glorieux faits d'armes, son
travail à LCI et à France Info, dont il
fut le fondateur, en faisaient un candidat idéal. Dès son arrivé, au
début de l'été, il a travaillé d'arrache-pied et a imposé
son style en tranchant dans le vif. Le 24 juillet, quatre journalistes étaient
remerciés : Jean-François Rabilloud, Pascal Boulanger - embauchés
par la suite à LCI, en un étonnant jeu de chaises musicales - Olivier
de Rincquesen et Bruno Seznec. En clair, Jérôme Bellay s'installait
solidement aux commandes et entendait bien rester le seul maître à bord.
La fin de l'été a confirmer cette tendance avec une réorganisation
de l'organigramme et surtout l'arrivée de plusieurs journalistes de LCI, débauchés
par leur ancien chef pous lui prêter main forte : Yves Calvi, Bernard de la
Villardière, Sylvain Attal, Françoise Gaujour, ou encore Philippe Bès,
propulsé rédacteur en chef des jounaux su matin. Peu à peu, la
restructuration prenait forme avec la nomination d'Huges Durocher
(ex-RFI) à la direction de la rédaction,
poste que quittait Gilles Schneider pour assurer les fonctions de directeur
délégué de l'antenne.
Ces changements en profondeur et surtout la rapidité avec laquelle ils se sont
effectués ont provoqué quelques grincements de dents au sein de la rédaction.
« Quand Bellay est arrivé, on était tous un peu déconcertés.
Mais quand son équipe a suivi, alors là, c'est devenu franchement comique.
C'était vraiment le chérif avec ses cow-boys, selon la vieille image qui lui
colle à la peau », rigole un journaliste. Pas de fronde majeur, pourtant,
au sein de l'équipe assurant l'information sur la chaîne. Pour la majorité
des journalistes, la nouvelle orientation est radicale, mais elle leur paraît être
menée avec compétence et efficacité. « On pourrait
discuter longtemps des méthodes employées et de l'aspect un peu brutal de ce
boulversement ... Mais au moins, maintenant, nous avons un cap à tenir et un
vrai objectif à atteindre », résume un reporter.
Il est aussi sans doutes encore trop tôt pour présumer des
résultats de ce grand chambardement. Le nouveau visage des programmes risque fort
de déconcerter les anciens auditeurs d'Europe 1. Rien n'assure, en revanche,
que cette révolution ne soit pas, à plus long terme, synonyme de
renaissance pour une radio déboussolée et à la recherche de son
identité.
Ainsi que l'affirme un ancien journaliste de la rue François 1er, pourtant
aujourd'hui évincé : « On peut détester le nouveau
format choisi, et il n'est pas certain qu'il séduise le public. Mais ce qui est
sûr, c'est qu'Europe 1 renoue avec l'audace qui avait fait son succès
dans les années 60. Comme autrefois, Europe 1 invente un genre.
Le Monde, Delphine Kindennans - 08 décembre 1996
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